Saint-Jacques
Quel est ce personnage si grand et si illustre que les chrétiens aillent vers lui pour le prier d’au-delà des Pyrénées et de plus loin encore. Si grande est la multitude de ceux qui vont et en reviennent qu’à peine elle laisse la chaussée libre jusqu’à l’Occident.
Vers 1060, exclamation d’un émissaire arabe, d’après une chronique du XIIe siècle
Aujourd’hui comme hier, comme toujours, le but du pèlerinage à Saint-Jacques est la cathédrale de Compostelle, la visite à la Tombe de l’Apôtre Saint-Jacques le Majeur.
Saint-Jacques fut l’un des douze Apôtres, du cercle le plus intime du Christ avec son frère saint Jean et avec saint Pierre, le cousin du Seigneur selon la tradition. Un apôtre véhément, fougueux et enthousiaste: “Fils du Tonnerre” le surnommait Jésus. À Jérusalem, il est le premier Apôtre qui meurt en martyr du Christ. La tradition veut que ses disciples recueillent son corps et le ramènent en Galice, sur les terres que Saint-Jacques aurait évangélisées.
Au IXe siècle, la découverte de son tombeau en Espagne est authentifiée par une lettre attribuée à un patriarche Léon, diffusée par la chancellerie royale d’Oviedo à partir des années 850. Dans cette lettre apocryphe, insérée dans le IIIe Livre du Codex Calixtinus, le patriarche raconte la translation du corps de Saint- Jacques après son supplice à Jérusalem: les disciples de l’apôtre auraient recueilli son corps, l’auraient embarqué à Jaffa et de là, en sept jours, dans une barque sans gouvernail, l’auraient transporté à Padrôn, le « Perron Saint-Jacques » qui marquait l’entrée de l’estuaire du rio Ulla en Galice. La région était, selon la légende, gouvernée par la noble Louve (Lupa) qui, avant de leur permettre d’ensevelir leur maître, les envoya affronter diverses épreuves. Ayant vaincu un dragon et rendu dociles deux taureaux sauvages, les disciples, Théodore et Athanase, convertirent Louve et son peuple, et enterrèrent finalement Saint-Jacques là où le découvrit Théodemir près de huit siècles plus tard.
Encore faut-il préciser qu’au long de l’itinéraire de Compostelle, Saint-Jacques est représenté non pas tant comme le saint qui nous donne rendez-vous dans la basilique, que comme le chef de file de tous les pèlerins qui nous invite à prendre la route dans son sillage. Portant la pèlerine, le bourdon, la coquille et l’escarcelle, il nous engage à quitter nos aises, à rompre avec nos habitudes, à regarder « plus outre »: Ultreia! Il arrivera au reste, en Arles comme à Santo Domingo de Silos, que ce soit le Christ en personne qu’on représentera comme un pèlerin de Compostelle, ou bien Notre-Dame, telle la si avenante Madone Pèlerine de Pontevedra. Preuve que pour les jacquets, davantage que le but à atteindre, comptait la pérégrination elle-même.
Les représentations de Saint-Jacques ont varié au cours du temps, mais l’apparition d’une nouvelle « image » de l’apôtre n’a jamais entraîné la disparition des précédentes, qui coexistent avec elle et continuent à évoluer :
L’Apôtre
Les premières représentations de Saint-Jacques le montrent comme un apôtre parmi les autres, vêtu d’une longue tunique, déchaussé, et portant généralement un livre dans la main, symbole de la foi et de la volonté divine. Les artistes de l’époque romane en firent un homme dans la force de l’âge, doté d’une barbe et de cheveux ondulés, et le gratifièrent parfois de sandales. Au XIIIe siècle, le bâton qu’il portait – et qu’il donna au magicien Hermogène – devient un glaive, symbole de son martyre. C’est avec ce glaive que la statue articulée du monastère de Las Huelgas de Burgos armait chevalier les rois de Castille au XIVe siècle.
Le Pèlerin
À partir du XIIe siècle en Espagne, du XIIe, en France, s’impose la figure d’un Saint-Jacques pèlerin, reconnaissable d’abord au bourdon et à l’écharpe, c’est-à-dire au bâton et au sac que le pèlerin reçoit lors de la cérémonie d’investiture. Il est doté également du chapeau à large bord, d’une calebasse parfois, et des coquilles décorent son sac ou son chapeau. En France, au XIVe siècle, son vêtement, très particulier, le fait ressembler à un sage, homme de robe et de savoir. Aux XVIe et XVIIe siècles, l’apôtre sera représenté dans les vêtements des pèlerins de l’époque.
Le Matamore
La représentation de Saint-Jacques en cavalier, monté sur un cheval blanc qui foule un ou des maures vaincus, rappelle l’intervention légendaire de Saint-Jacques lors de la bataille de Clavijo: cette image apparaît pour la première fois au début du XIIIe siècle sur un portail de l’église de Compostelle. L’histoire de la bataille de Clavijo (834 ou 844) fut inventée dans les années 1160 afin de justifier le paiement, au sanctuaire apostolique, d’une taxe, les « Vœux de Santiago », promis par le roi Ramire si l’apôtre lui donnait la victoire. L’image du matamoros (tueur de maures) ou « matamore » s’impose définitivement à l’époque Moderne, alors que l’Espagne s’est débarrassée des derniers musulmans de son territoire mais que les Turcs menacent l’Occident. Adoptée également dans les Flandres et dans l’Amérique hispanique, où Saint-Jacques devient le pourfendeur du paganisme (c’est-à-dire des Indiens non baptisés), elle symbolise le catholicisme militant de la Contre-Réforme. Dès la fin du XVe siècle, Saint-Jacques Matamore tient une épée en main et est souvent pourvu des attributs du pèlerin: le chapeau et les coquilles. Au XVIe, il est parfois habillé en chevalier de l’ordre de Santiago.
Avec quel respect doit être honoré ce saint lieu, où est conservé le très saint corps de l’Apôtre qui eut le bonheur de voir et toucher Dieu fait Homme !
lit-on dans le Livre de Saint-Jacques